Le miroir du Banquier
» Le « miroir du banquier » (ou, comme on l’appelle aussi, le « miroir magique ») s’est répandu dans les cercles de la noblesse européenne au XVe siècle. La création de miroirs convexes était liée au grand intérêt pour l’optique, qui s’est manifesté au début de la Renaissance en Flandre. La surface sphérique de ces miroirs, d’abord recouverte d’étain de l’intérieur, puis d’amalgame de mercure avec de l’or ou du bronze, apportait non seulement plus de lumière à l’intérieur, mais permettait aussi de voir toute la pièce sans avoir à tourner ou à bouger. Bien sûr, cette caractéristique des miroirs convexes précédait leur « fonction de surveillance », et ils sont devenus les prototypes involontaires des caméras de vidéosurveillance modernes. Ils étaient autrefois situés dans des endroits qui ont besoin d’être surveillés et gardés : dans des magasins de biens coûteux mais aussi dans les banques. Le nom « miroir d’un banquier » est ainsi apparu. Des miroirs convexes comme attributs du pouvoir, de la supervision et du contrôle se sont rapidement répandus dans les cercles de la riche aristocratie, qui préfère contrôler ses serviteurs. Ces derniers, en vertu de leur ignorance et de leur naïveté, croyaient saintement qu’à l’aide de ces « miroirs magiques » accrochés dans la maison, les propriétaires continuaient à les surveiller en leur absence.
Au fil du temps, la teinte de la perception superstitieuse des « miroirs magiques » a disparu, et tout d’abord la remarquable capacité des miroirs convexes à remplir l’intérieur de lumière a commencé à être appréciée. En France (ainsi qu’en Angleterre), jusqu’au milieu du XXe siècle, les « miroirs de banquier » sont restés en usage dans toutes les familles nobles, jusqu’à ce qu’ils soient progressivement remplacés par leur version simplifiée, les « miroirs solaires ». Notre site présente les « miroirs du banquier » des époques passées : la fin du 19ème siècle et le milieu du 20ème siècle (lots 4029 et 4031).
L’histoire de l’art témoigne du statut élevé du « miroir du banquier » parmi les objets ménagers de l’antiquité. Depuis la Renaissance, en particulier, les tableaux les plus célèbres de l’école flamande de peinture représentent ces « miroirs magiques » et ils ne sont pas seulement un détails représenté par l’artiste, mais ils apportent également une signification philosophique particulière au contexte.
On trouve le « miroir du banquier », par exemple, dans la peinture de Jan van Eyck (1385 – 1441) – l’artiste, qui est pour la Flandre l’équivalent de Léonard de Vinci – pour l’Italie. Dans son tableau le plus célèbre « Portrait des Couples d’Arnolfini » – le tout premier portrait jumelé, qui appartenait autrefois à Marguerite d’Autriche, Philippe II et Georges IV – La présence du miroir du banquier n’est pas accidentelle parmi tous les détails de la composition. L’image représente le rite du mariage, où le mari – le banquier Arnolfini (sa famille possédait les banques à Florence et à Bruges, où il vivait Jan van Eyck) jure allégeance à sa jeune épouse. A cette époque, pour célébrer un mariage, la présence d’un prêtre ou de témoins n’était pas nécessaire. N’importe qui pouvait dire un serment devant une seule bougie allumée. Un symbole du Christ omniscient, par ailleurs, il y a une bougie allumée sur le chandelier dans la peinture de van Eyck). Autour du couple – les objets ménagers habituels de la riche maison flamande, mais au milieu, juste au-dessus des mains fermées des époux, comme un symbole de bénédiction – un miroir, comme si l’œil de Dieu, regarde ce qui se passe. Un tel miroir, convexe, en soi était un objet de luxe pour l’époque (dans les maisons des roturiers on utilisait habituellement du métal poli et la possibilité technique de faire des miroirs plats apparut plus tard), de plus, un tel miroir habillé d’un cadre coûteux est devenu une œuvre d’art en soi. Dans la peinture de Jan van Eyck, un miroir dans un cadre riche avec des images de dix scènes de la Bible ajoute un sens théologique et moral supplémentaire à l’image (dans le symbolisme théologique, le miroir convexe est considéré comme un « spéculum sine macula » – « miroir impeccable, un miroir sans défauts », symbolisant simplicité et pureté) et devient une sorte de témoin et médiateur silencieux, sanctifiant le rite, mettant en valeur la signification spirituelle spéciale du tableau.
L’image du « miroir du banquier » dans l’image de l’élève de Jan Van Eyck – Petrus Kristus (1410 – 1475) n’est pas moins significative. Sur sa toile « Saint Eligius dans son atelier » représente un couple d’amoureux qui est venu chez le maître (le saint patron de Saint Eligius, le saint patron des bijoutiers) pour commander des alliances. Sur la table du saint, il y a un miroir convexe qui reflète un certain couple, un homme et une femme, qui sont en dehors du cadre de ce qui se passe, mais dont la présence mystique donne à la situation une dimension irréelle, et un « miroir magique » dans le contexte global du tableau comme s’il commençait à jouer le rôle de « miroir du futur ».
Dans « Autel du Werl » de Robert Campen, le miroir rond convexe joue également un rôle particulier, permettant de comprendre l’idée de l’artiste : la vision de Jean-Baptiste avec la Bible et l’Agneau de Dieu entre les mains du donateur en prière (patron de l’autel). Cette vision acquiert l’authenticité du réel par le fait que, tout comme les autres objets du monde matériel – salle, paysage, figures des moines – se reflète dans le « miroir magique ». Ainsi, grâce à un seul détail – le miroir convexe – l’existence du physique et du métaphysique, du sensuel et du suprasensible prend le pas sur la réalité de l’existence dans l’image.