Le style Boulle
André-Charles Boulle (1642-1732), ébéniste créateur ciseleur fondeur français hors pair, est le créateur d’une technique unique : l’association du bronze et du laiton et de la marqueterie au service de l’art et l’artisanat. Son talent a également donné naissance à un style particulier dans l’art décoratif appliqué au luxe pendant quatre siècles, de l’époque de Louis XIV à celle de Napoléon III.
André-Charles Boulle est né à Paris dans la famille de charpentier Johann Bolt, originaire du duché germano-néerlandais, qui s’est installé dans la capitale française avant la naissance de son fils. Il y a ouvert un atelier de menuiserie et a pris le nom français Jean Boulle. Sous la direction de son père, André-Charles, dès son plus jeune âge, commence à étudier le dessin, la peinture et les rudiments de la menuiserie, et les premières expériences permettent de voir le talent incontestable du garçon.
Devenu ébéniste en 1666 à l’âge de 23 ans, le jeune André-Charles Boulle découvre de nouvelles facettes de son talent : par exemple, il découvre de nouvelles possibilités d’utiliser le bronze dans la création de meubles et devient un maître incontestable dans la technique de la marqueterie. En quelques années, le talent de Boulle lui vaut une grande popularité dans la capitale française et, à 30 ans, il est repéré par Jean-Baptiste Colbert, premier ministre du roi, et présenté à Louis XIV lui-même comme « le plus habile ébéniste de Paris ». Le Roi de France a décerné à André-Charles Boulle le titre du premier ébéniste du roi et lui a accordé un logement dans les murs du Louvre. Ce qui signifie non seulement la plus haute distinction royale, mais lui a également donné de la liberté par rapport aux sociétés de magasin.
Dès lors, Boulle va créer une collection exceptionnelle de meubles et d’objets d’intérieur pour le château de Versailles – résidence de Louis XIV – « Roi Soleil ».
A cette époque, Boulle met en place deux ateliers dans lesquels toute sa famille travaille, dont sa sœur, la première femme ébéniste connue.
C’est au cours de ces années que la technique unique de Boulle fut perfectionnée et que son style fut défini, qui devint plus tard connu sous le nom de « style de Boulle » (P. Style Boulle), grâce auquel son nom est entré dans l’histoire de l’art mondial. Il est remarquable que la technique similaire a été appliquée à l’ornementation des façades de meubles et jusqu’à Boulle : elle a été appliquée à la fois par les maîtres italiens au 16ème siècle, et néerlandais – au 17ème siècle, mais André-Charles Boulle a apporté à cette technique la pleine perfection et le savoir-faire de l’ébéniste.
Le style de Boulle caractérise non seulement la subtilité artistique et inaccessible de la garniture décorative des meubles, mais aussi une variété sans précédent de matériaux : il combine avec audace les espèces exotiques, rapportées d’Inde et d’Amérique du Sud, argent, bronze, laiton, ivoire, corne, nacre et écaille de tortue, révélant au maximum dans ses créations, la beauté naturelle et les possibilités décoratives de ces matériaux nobles.
Le talent de Boulle était très apprécié à Versailles, ses œuvres étaient très demandées. Il avait un grand nombre de commandes (dans l’atelier de Boulle à ce moment-là travaillaient plus de 40 personnes !), et après la cour royale, la noblesse française et européenne se sont mis à faire la queue (parmi eux, le roi d’Espagne, les notables de Bavière et de Cologne…). Mais, et c’est un paradoxe, malgré une telle reconnaissance, le premier ébéniste du roi, en manque d’argent, dut même se tourner vers Louis XIV pour obtenir une aide financière. La raison des difficultés financières étaient que le processus de fabrication de chaque objet prenait beaucoup de temps, était très coûteux, exigeait des matériaux rares. Le maître devait s’endetter et le paiement des commandes achevées, n’arrivait que quelques mois après. De plus, Bulle était un passionné d’art et un collectionneur passionné, et cette passion nécessitait également un investissement considérable (la collection de Bulle était considérée comme l’une des plus importantes et des plus précieuses à l’époque, elle contenait plus de 40 dessins de Raphaël et plusieurs sculptures de Michel Ange, des peintures de Rubens, Snyders, Van Dyck…).
En conséquence, pour un certain nombre de raisons, malgré une demande et une notoriété sans précédent, la situation financière de l’atelier de Boulle était très précaire. Pour couronner le tout, l’incendie de 1720 a porté un coup dur lorsque l’incendie a détruit tout l’atelier du maître, avec tous les matériaux coûteux, les outils, toute la précieuse collection de peintures et une grande quantité de chefs-d’œuvre de meubles prêts à l’emploi, créés par ses mains…. Le maître avait alors 78 ans, et après cela non pas lui, mais ses quatre fils et puis d’autres disciples ont eu la chance de travailler dans la technique qu’il avait créée et de continuer le « style de Boulle » qui est resté à la pointe de la mode dans l’aristocratie française pendant presque 200 ans.
Quelle est la caractéristique la plus reconnaissable du style et de la technique de Bull ?
Sans aucun doute, c’est une habile inclusion de la carapace de tortue dans un décor complexe. Il est à noter qu’il ne s’agissait pas d’une incrustation en tant que telle : les éléments décoratifs ne se sont pas incrustés dans la base en bois mais les revêtements décoratifs en écaille de tortue et laiton ont été superposés et fixés sur la base en bois. Cette technique a permis de créer des ornements et des images étonnamment minces et complexes, beaucoup plus raffinés qu’il n’était possible dans la technique de l’incrustation.
Pour le corps des meubles en bois Boulle utilisaient différentes essences rares : ébène, poirier, palissandre, bois de santal, orme, cerisier, acajou. Outre le bois, les métaux, l’ivoire, la corne et la nacre, Boulle a été le premier en Europe à intégrer dans son décor des matériaux exotiques tels que les écailles de tortue. L’écaille de tortue d’un genre particulier a été utilisée (pas celle d’une tortue modeste avec une coquille grise, semblable à un fossile…). Boulle a utilisé pour ses créations la carapace des plus anciennes espèces de tortues des Caraïbes la tortue imbriquée (Eretmochelys imbricata), tortue écailleuse dont le seul représentant du genre est Eretmochelys (maintenant extrêmement rare et en voie de disparition).
La particularité de la carapace de cette tortue était qu’elle était divisée en plaques translucides séparées avec un motif de taches fantaisistes. Ces plaques étaient ramollies lorsqu’elles étaient chauffées dans l’eau chaude ou au-dessus du feu, devenaient plastique, pouvaient prendre n’importe quelle forme, et quand elles refroidissaient ? elles retrouvaient leur dureté originale.
(D’ailleurs, nous avons des objets sur notre site qui montrent clairement à quel point une telle matière est plastique. Il s’agit de deux boîtes (lot 3127, voir ici), où vous pouvez voir sur la photo en gros plan à quel point la coquille a pris la forme donnée par la base en bois de la boîte. La carapace de tortue, ce matériau ancien et aujourd’hui le plus rare, est belle et « dans sa forme la plus pure », sans décorations ni superpositions… Cependant, à l’époque de Boulle, l’esthétique était différente et sous la décoration, les choses signifiaient l’éclat Royal et le luxe, quelque chose qui devait entourer le « roi-soleil » Louis XIV). Quelle est l’essence de la technique développée par Boulle ?
La technique de la marqueterie Boulle consiste en un traçage puis un découpage minutieux à la scie de 2 plaques superposées, en général, une plaque d’écaille (écaille de tortue) et une plaque de cuivre / laiton. Ce découpage simultané permet d’obtenir 2 motifs parfaitement identiques, qui une fois inversés, permettent de composer 2 décors différents :
La première partie : un motif en « positif » avec un fond d’écaille et une ornementation en laiton
La contrepartie : un motif en « négatif » avec un fond de laiton et une ornementation d’écaille
Chaque motif est ensuite plaqué soit :
Sur 2 meubles identiques pour créer une « paire »
Ou sur un même meuble en plaquant l’intérieur et l’extérieur de celui-ci
La marqueterie Boulle n’est pas incrustée dans le bâti du meuble mais assemblée à l’envers sur un support papier avant d’être collée (à la colle d’os) sur le bâti du meuble. Une fois le décor collé, le papier est enlevé afin de pouvoir polir le meuble. La surface était ensuite finalement polie.
La semi-transparence des plaques de carapace de tortue permettait de les peindre dans n’importe quelle couleur – rouge, bleu, jaune – et sur ce fond, le motif tacheté naturel de la carapace était particulièrement brillant. Ces particularités de matériaux exotiques ont été révélées par Boulle, créant des produits de luxe incroyablement spectaculaires et décoratifs, où l’expressivité de la forme des meubles combinée à l’élégance du décor. La subtilité du motif gravé, la complexité de l’ornement lui-même, la saturation de la solution de couleur, qui était basée sur une combinaison éblouissante de nuances dorées de métal (bronze, laiton ou cuivre) et la couleur rouge-noir de l’écaille de tortue (l’écaille pouvait être peinte d’autres couleurs, mais certainement la plus spectaculaire et populaire était de couleur rouge).
Les meubles créés par André-Charles Boulle décorent aujourd’hui les palais français : Versailles, Chantilly, Cheverny, Vaux-Le-Vicomte etc .
Les chefs-d’œuvre créés par ses mains sont conservés dans les plus grands musées du monde : au Louvre (Paris), dans la collection de Wallace (Londres), au Getty Museum (Amérique), dans la collection royale (Londres et Windsor).
La célèbre Ecole Supérieure des Arts Décoratifs et Appliqués de Paris porte le nom d’André-Charles Boulle.
(La photo montre des objets fabriqués selon la technique du boulle : lots 3949 (voir ici) et 3950 (voir ici), ainsi que dans le style de Boulle : lot 2052 (voir ici).